Impact sur la santé des stéréotypes négatifs sur le vieillissement

On appelle “âgisme” tous les biais liés à nos croyances sur le vieillissement qui affectent, non seulement nos relations quotidiennes avec les plus vieux, mais aussi notre propre vieillissement en santé. Les enjeux ne sont donc pas que éthiques, ils sont aussi de santé publique.

« Tu comprendras quand tu seras vieux ! », publié aux Editions du Palio, décrypte, à partir de travaux scientifiques et d’exemples concrets, l’impact des stéréotypes négatifs sur le vieillissement. Ce manuel anti-préjugés à l’usage de tous permet de comprendre les idées préconçues qui nous conditionnent face au grand âge et de commencer à nous en libérer. Découvrez-en un extrait.

Cela peut paraître surprenant, mais ces chercheurs ont observé qu’une plus forte imprégnation et adhésion aux stéréotypes négatifs liés à l’âge au cours de la vie prédisaient une moins bonne santé une fois devenu vieux, avec notamment un risque plus élevé de maladies cardio-vasculaires et un déclin plus marqué des fonctions mnésiques (la mémoire).

Cette analyse repose notamment sur deux études longitudinales où les chercheurs ont suivi une même cohorte d’individus pendant plusieurs années.

Dans la première étude, les chercheurs ont suivi des personnes âgées de 50 ans et plus pendant deux décennies. Ils ont observé que les individus qui, à 50 ans ou plus, percevaient plutôt positivement leur vieillissement, présentaient au cours des deux décennies suivantes une meilleure santé fonctionnelle et une espérance de vie supérieure en moyenne de 7,5 ans.

Dans la seconde étude, les participants étaient plus jeunes (18 à 49 ans). Les résultats révèlent que ceux qui avaient des stéréotypes d’âge plus négatifs au départ présentaient un risque significativement accru d’événement cardio- vasculaire au cours des 38 années suivantes. Chez les plus jeunes participants (18-39 ans), l’étude montre même que le risque d’événement cardio-vasculaire après 60 était deux fois plus important par rapport aux participants qui avaient des stéréotypes d’âge plus positifs au départ.

Se dire que nos propres croyances sur le vieillissement sont un bon prédicteur de notre santé future[1] n’est pas le genre d’information qui laisse de glace. On pourrait se dire que c’est 50/50, tout bon ou tout mauvais pour nous. Mais vu que notre vision de l’avancée en âge reste avant tout dominée par des images de perte, de solitude et de maladie, la probabilité semble plutôt aller en notre défaveur.

Les mécanismes sous-jacents à l’âgisme intériorisé

J’évoquais plus haut l’idée de petites bombes à retardement pour parler du phénomène d’auto-stéréotypisation. Mais concrètement comment cela est-il possible ? Parmi les explications avancées, trois hypothèses sont particulièrement mises en avant.

La première explication est comportementale. Penser que l’apparition de problèmes de santé est une conséquence inévitable du vieillissement tendrait à décourager les pratiques préventives de santé tout au long de la vie, mais aussi à un âge plus avancé. Non seulement j’ai tendance à me dire que cela ne sert à rien mais, comme ce type de croyances s’accompagne souvent d’une baisse du sentiment de compétence personnelle, j’ai aussi tendance à penser que je n’ai pas les ressources pour faire face à la maladie.

Une étude menée auprès de personnes âgées atteintes de pathologies chroniques a montré que plus elles souscrivaient à ce genre de stéréotypes, plus elles ressentaient effectivement les symptômes physiques de leur maladie, moins elles adhéraient aux actions de santé et plus la probabilité de mortalité était élevée[2].

Le deuxième type d’explication, très lié au premier, est plus d’ordre psychologique. Les croyances stéréotypées ont un impact négatif sur les sentiments de maîtrise et d’efficacité personnelle, qui vont alors agir comme des attentes auto- réalisatrices[3].

Si on ne se sent pas en capacité de faire face ou de réussir une action, on aura tendance à moins bien mobiliser ses ressources pour y parvenir. Or la présence à l’esprit d’un stéréotype d’infériorité lié à son âge peut induire un tel sentiment d’incompétence. Les sportifs le savent bien : si on anticipe un échec, si on part défaitiste, les performances ne sont effectivement pas au rendez-vous. Cela s’observe aussi dans la manière de faire face à la maladie et à la souffrance. L’équipe de Levy a d’ailleurs observé que plus l’imprégnation des stéréotypes négatifs liés au vieillissement est forte, moins bon est le rétablissement après un événement cardio- vasculaire.

Enfin, le troisième type d’explication est de nature physiologique. Les chercheurs s’appuient pour cela sur une expérience déjà évoquée : face à une situation stressante, l’exposition à des stéréotypes « âgistes » provoque une accélération du système cardio-vasculaire. La réactivité cardio-vasculaire est une réponse normale du système nerveux autonome au stress. Rien de particulièrement nocif en soi si cela reste occasionnel. En revanche, les chercheurs considèrent que la répétition de plus en plus fréquente de cette réponse physiologique au stress est susceptible de générer à plus long terme des problèmes cardio-vasculaires. Cela pourrait notamment expliquer pourquoi le fait d’avoir durablement internalisé des stéréotypes négatifs sur le vieillissement est susceptible d’accroître le risque cardio-vasculaire.

[1] Levy évoque une étude allemande menée sur 6 ans auprès de personnes plus âgées qui confirme que les stéréotypes liés à l’âge sont un bon prédicteur de santé.

[2] Stewart & coll. (2012), cité par Schroyen, & coll. (2015).

[3] Si on active un stéréotype lié à la sénilité avec l’âge, les performances des personnes âgées sont affectées davantage dans leurs tâches intellectuelles que dans leurs tâches physiques. Pourquoi ? Parce que la correspondance du stéréotype avec la nature de la tâche augmente la force des attentes négatives.

A propos de l’auteur

Véronique Cayado est docteure en psychologie et responsable d’étude à l’Institut Oui Care sur le bien vieillir. Ses différentes activités (recherche, production d’articles/vidéos, formation, conférence, etc.) ont en commun un questionnement autour des dynamiques psychologiques et sociales qui se jouent au cours du vieillissement avancé.

Cet article a été publié le lundi 31 juillet 2023 à 10:09 et est classé dans Le Salon des services à la personne. Vous pouvez en suivre les commentaires par le biais du flux RSS 2.0. Vous pouvez laisser un commentaire, ou faire un trackback depuis votre propre site.