Ma vie de soignante en Ehpad

Les soignants sont confrontés à l’injustice d’un système, mettant en lumière l’humanité qui les caractérise. Au début de la pandémie, les EHPAD et nos aînés ont attiré l’attention générale. Nathalie, une animatrice de 48 ans travaillant dans l’un de ces établissements, partage ici des moments vécus avec les soignants et les résidents, de 2015 jusqu’à aujourd’hui. Avec beaucoup de tact, elle dresse un tableau réaliste et parfois tragique du quotidien en maison de retraite, tout en capturant les instants empreints de bienveillance, d’entraide et de joie. Découvrez ci-dessous la préface écrite par le docteur Véronique Lefebvre des Noëttes et un extrait de son livre.

 

PREFACE

L’autrice de ce livre touchant, Nathalie Firminy, a de l’au-dace, celle des grands humanistes, celle de ceux qui croient en l’autre, même aux confi ns de l’humain. Animatrice en Ehpad, elle nous fait vivre des instants magnifi ques de partage, elle nous livre des récits de vies, de rires et de créativité avec nos aînés. Ses vignettes cliniques sont des témoignages vibrants d’émotion.

Ma vie de soignante en Ehpad pose de vraies questions quant au regard sociétal sur le grand âge, et plus particulièrement en période de Covid-19. On le sait, l’humain a besoin d’un autre humain bienveillant pour vivre – et non survivre. En eff et, privé d’altérité, il s’éteint et meurt de chagrin.

C’est en témoignant comme elle le fait, du terrain et non d’un point de vue surplombant, que Nathalie Firminy contribue à faire changer le regard sur le grand âge et ces « grands oubliés », comme elle les nomme.

 

EXTRAIT – L’oiseau devenu lion

Lorsque Mario, 88­ans, arrive à l’Ehpad, ses jours sont comptés. Les étapes de sa bipolarité le positionnent dans l’épisode de dépression, le bas niveau du curseur, celui de la perte de toutes les envies. La poliomyélite, contractée à l’adolescence, lui a paralysé une jambe. Il se nourrit peu, voire pas, et s’oppose aux différentes propositions. Il accepte toutefois de sortir de sa chambre, mais reste dans son coin. Un souvenir me vient ­: celui d’un homme assis sur son fauteuil roulant, portant une barbe à la Robinson Crusoé, lisant un livre, une clochette à la main.

Un matin, après la prise en soins des équipes, j’accompagne Mario au salon. Il semble y avoir trouvé une place à sa convenance. Un livre est resté sur l’une des tables basses ­: La Prisonnière, de Michèle Fitoussi et Malika Oufkir. Ses yeux s’illuminent, il me le demande et je le lui tends. Mais il n’est pas capable à la fois de l’avoir en main et d’en tourner les pages. Je trouve la solution d’installer l’ouvrage sur un support vertical. Il commence sa lecture et, rapidement, je constate la faille de ma trouvaille. D’une part, les pages se referment, d’autre part, passer à la suivante lui est impossible.

Je rassemble celles déjà lues à l’aide d’une pince et lui remets une clochette servant aux visiteurs lorsqu’il n’y a personne à l’accueil. Il pourra l’actionner au besoin, mon bureau n’est pas loin­!

Ce livre lui plaît particulièrement, j’en comprendrais plus tard les raisons. Il actionne souvent la clochette, puis de plus en plus souvent, me laissant à peine le temps de terminer ma tâche en cours et insiste même jusqu’à me voir arriver. Je regrette alors d’avoir eu cette bruyante idée. Après­ plusieurs allers-retours, j’ose lui dire ­: «­Mon aide ne vous est peut-être plus utile­!­» Ce moment scelle une belle relation tissée pendant quatre années.

Il trouve ses repères dans la résidence. Il est fumeur et le fait pour son plaisir. Plusieurs résidents ont fumé auparavant. Certains me racontent avoir commencé lorsqu’ils étaient soldats. Le «­tabac de troupe­» (nom distinguant la qualité du tabac distribué) leur était donné pour leur remonter le moral durant les conflits. La plupart ont arrêté, mais Mario n’a pas cette volonté. Il nous confie ses cigarettes et, au besoin, nous en fait la demande. Lorsqu’il en réclame à nouveau, il est dans l’épisode de manie et déborde alors d’énergie. Toutefois, nous l’aidons à allumer sa cigarette.

Il retrouve l’appétit, manifeste de nouvelles envies et se fixe un objectif­: «­Je sortirai de ce fauteuil et je remarcherai! ­» Je lui dis respectueusement l’avoir vu arriver tel un oisillon tombé du nid. L’oiseau s’est transformé­! Il est devenu un lion.

« Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l ’ont fait. » – Mark Twain

 

Présentation de l’auteure :

À 19 ans, Nathalie Firminy décide de quitter son île natale, la Réunion, pour la métropole, dans le but de suivre son propre chemin de vie. Quand elle devient mère, elle choisit de rester à la maison et tisse des liens avec ses voisins âgés, dont les enfants finissent par l’embaucher pour veiller sur eux. Quelques années plus tard, un stage en EHPAD met en lumière son désir de travailler dans l’un de ces établissements. Elle décroche un poste d’animatrice, qu’elle occupe désormais depuis six ans. Ma vie de soignante en EHPAD retrace son expérience.

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