Devenir le parent de son parent. Ou presque

Devenir le parent de son parent. Ou presque est un témoignage autobiographique autant qu’un guide pratique, publié aux éditions Broché en 2022. Son autrice, Christelle EVITA, nous partage son quotidien tragi-comique de quarantenaire devenant aidante… et nous propose ses solutions pratico-pratiques ! Mêlant humour, colère, impuissance et abattement, cet ouvrage ose « mettre les pieds dans le plat » en ne cachant rien des défis de l’aidance. Découvrez ci-dessous un extrait.

EHPAD OR NOT EHPAD… TELLE EST MA QUESTION

— C’est décidé.

— Tu es… sûre ?

— J’ai DÉ-CI-DÉ !

Bienvenue dans un de mes dialogues imaginaires dans lequel ma mère s’auto-ehpaderait. De son plein gré. Ce serait l’idéal. Mon idéal.

Qu’elle m’évite, que je m’évite, que me soit évitée l’auto-culpabilisation mortifiante, de ne pas la placer et mal m’en occuper, ou de la placer et qu’elle soit maltraitée. Malheureusement, dialogue imaginaire.

Pour l’instant, on fait comme si de rien. On : ma mère, ma sœur, moi.

Comme si ma mère ne perdait pas les mots, ses souvenirs.

Comme si elle n’était pas de plus en plus dépendante, de nous, ses filles, et que nous, de plus en plus, on n’en peut plus.

La vie m’a appris que même quand tu n’en peux plus, tu peux encore. Donc, on continue. Bien sûr que l’on continue. On ferme nos six yeux, on psalmodie : Non, tu ne vieillis pas maman.

COMBIEN DE TEMPS, COMBIEN DE TEMPS…

Combien de temps peut-il s’écouler avant qu’une simple discussion (simple de mon point de vue) s’efface de sa mémoire, avant qu’elle me dise-redise-rereredise : Je ne sais pas si je t’ai dit ?

Je ne saurais dire quand mais cela s’est accéléré. Maintenant, elle perd les mots, les remplace par d’autres : Laissez-moi faire mon lobby. Des souvenirs par d’autres. Des personnes par d’autres : Tu te rappelles, tu m’avais accompagnée chez unetelle. Ce n’est pas moi qui l’ai accompagnée.

Voir le cerveau de la chair de sa chair se décomposer, tomber en lambeaux. Ramasser les restes, récupérer les oripeaux. Les coller, la rafistoler. J’ai essayé. It does not work.

Maman, combien de temps avant que tu oublies mon prénom ? Mon surnom ? Ma date de naissance ?

Désolation silencieuse.

C’EST GRAVE DOCTEUR ?

Mon attention macro-micro-de-chaque-instant vis-à-vis de ma mère, est-ce une compétence que je peux valoriser sur mon CV ? Ne peut-on pas la considérer comme une compétence rare ? Une soft skill ? Qu’en dites-vous Madame la conseillère de l’APEC ? Monsieur de Pôle Emploi ? Je l’inscris sur mon CV ? Qui cela peut-il intéresser que je sache maîtriser PowerPoint ? Access ? Adobe ?

Moi, je suis spécialiste…

– en tension artérielle : pression exercée sur les vaisseaux sanguins par le débit du flux sanguin dans le corps,

– en cholestérol,

– en interaction médicamenteuse dangereuse (surtout ma sœur en fait, mais nous faisons du transfert de compétences),

– en antidouleurs opiacés qui déclenchent crises de manque et hallucinations.

Disons-le : experte senior en gestion de vieux. Voilà ce que je suis devenue.

Les recruteur·se·s posent les mêmes questions éculées – « point fort-faible-défaut-qualité ». Je suis là, toutes dents dehors. Je brûle de leur dire que ce qui m’occupe aujourd’hui, ce qui m’anime, c’est ma mère ; que mon point fort, mon point faible, c’est ma mère. Son entrée, notre entrée dans la vieillesse, dans SA vieillesse. Que je suis paniquée, que j’ai l’impression que je vais y laisser des plumes, toutes, que je me demande c’est quoi cette vie que je vis…

La vieillesse : ultime tabou sociétal. Pardon ! Le grand âge, les seniors, les aînés.

JE SUIS CHARGÉE

Tutelle ou curatelle ? Nous ne sommes pas prêtes. Pourtant dans les faits, la pallier, c’est ce qu’on fait. Mais là tout de suite, à la face du monde, on n’est pas prête. Annexer officiellement ma mère, je résisterai jusqu’à l’ultime limite.

Pendant longtemps, je préférerai compenser. J’aurai tous les papiers de ma mère sur moi. Sur Google Drive, je veux dire, donc c’est sur moi. Et aussi dans ma boîte email pro. Sur mon disque dur au bureau, à la maison. Partout.

Munie de ses papiers, je suis elle. Cette idée est dérangeante.

Tip : Pour ne pas perdre (trop) de temps, faire des doubles de tous les papiers de votre parent dysfonctionnant ; d’autant plus s’il a le syndrome de Diogène, comme c’est le cas pour ma mère. Certes, elle finit toujours par retrouver ce qu’elle cherche, mais au bout de combien de temps ? Or, le temps est compté. Le mien, le vôtre, le sien.

[…]

Avant de conclure, quelques conseils qui pourraient servir.

Comment repérer une maladie neurodégénérative de celle qui fait perdre la mémoire immédiate ?

– Votre proche va maigrir. Trop. Un neurologue : Le premier signe externe de la perte de mémoire : l’amaigrissement. Votre parente va oublier de s’alimenter (suffit avec le neutre masculin). C’est ce signe qui m’a obligée à reconnaître sa maladie. Ma mère était pleine d’incohérences et d’oublis divers et variés (son chemin, son code de carte bleue, éteindre la gazinière…) mais je refusais de les voir. Sa maigreur, elle, je ne pouvais me la cacher.

– Votre parente peut aussi manifester des accès de colère ravageurs, aussi soudains que fugaces. Je ne sais pas si c’est de la folie (qui sait ce qu’est la folie ?). Je préfère penser qu’il s’agit d’une colère masquant l’angoisse : « Qu’est-ce qui se passe, je deviens folle ou quoi ? », doit penser le malade. Depuis que ma mère reçoit le traitement qui la stabilise sans l’abrutir, elle n’a plus ces trous noirs de rage dévastatrice qui nous engloutissaient toutes les trois. Merci le personnel médical. Quoi ? Je sais aussi être juste !

Que faire en cas de dégradation rapide de l’état de votre parente vous conduisant à prendre/reprendre/coprendre les choses en main ?

PRIORITÉ 1 : Ayez en votre possession tous les papiers administratifs de la personne concernée.

– pièces d’identité dont livret de famille et acte de naissance datant de moins de trois mois ;

– documents bancaires datant de moins de trois mois : relevés de compte, RIB, épargne… documents de santé, le minimum minimorum étant la carte vitale et l’attestation ou à défaut la photocopie recto verso de la carte vitale et l’attestation récente de la carte vitale ;

– tout ce qui a trait à son mode de logement : quittances de loyer, prêt immobilier, traites, etc. ;

– tout ce qui relève de son patrimoine : placement financier (assurances vie…).

Photocopiez tout, scannez tout et réunissez ces documents au fur à mesure plutôt que dans l’urgence et la panique.

Nota : toute forme de phobie administrative est proscrite.

Nota 2 : ces conseils valent que votre parente soit volontaire ou réfractaire à l’ehpadisation.

PRIORITÉ 1.1 : Avoir fait établir des procurations à votre nom. Ça vous évitera d’avoir à trouver des moyens impossibles pour récupérer les précieux documents évoqués ci-dessus, quand votre parente sera dans l’incapacité de vous les fournir.

PRIORITÉ 1.1.1 : Choisissez l’EHPAD avec les autres membres de la famille.

– Sur service-pubic.fr, télécharger le formulaire 14732*03 pour solliciter une entrée en EHPAD. C’est bien de télécharger ce dossier dès à présent. Cela vous familiarise avec la dimension administrative de toute institutionnalisation.

Tip 1 : Il existe des plateformes qui peuvent mener ces démarches à votre place. Cependant, la priorité 1 reste d’actualité car ces intermédiaires auront besoin des documents.

A propos de l’autrice :

Christelle EVITA

Le fil rouge de son parcours ? Mettre en lumière les angles morts qui gangrènent nos existences. C’est ce qu’elle fait aujourd’hui avec l’aidance, et qu’elle a toujours fait avec ses œuvres théâtrales …mises en scène par Hélène Poitevin-Compagnie Petits Formats (excepté Un couteau). :
> “Silence, travail! » (violence larvée en entreprise, chez les cadres),
> “Mais je ne suis pas noire ! (micro-exclusions liées à la couleur de peau),
> “Un couteau dans le coeur” (les enfants migrants),
> “Ce secret” (violences gynécologiques).

 

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