Adapter le domicile c’est sécuriser le lieu de travail des intervenants professionnels

Par Alexandre Faure – Sweet Home

C’est une constante depuis des années, les Français veulent vieillir chez eux, dans leur maison, sur le territoire qu’ils aiment et connaissent. Au fil des enquêtes, ce sont entre 80 et 95% des répondants qui l’affirment. 

Compte tenu des fragilités liées à l’avancée en âge, les Français ont besoin d’être aidés et soutenus. Cette aide et ce soutien, ce sont les intervenants au domicile qui les apportent. Ce sont les proches, les aidants professionnels et les soignants qui contribuent au maintien à domicile des personnes âgées fragilisées.

La maison de la personne âgée n’est pas uniquement un lieu de vie. C’est aussi le lieu de travail intervenants. 

La question de l’adaptation du domicile aux besoins spécifiques d’une personne âgée fragile est souvent évoquée. Certes, l’évocation ne suffit pas et à ce jour, la prise de conscience de l’État et des citoyens sur l’urgence de la situation est largement perfectible. Mais au moins, l’enjeu est connu. 

En revanche, le rôle des intervenants professionnels dans la détection des limitations environnementales et la prise en compte de leurs besoins spécifiques dans la mise en oeuvre des adaptation sont largement sous estimés aujourd’hui. Essayons de comprendre pourquoi et d’imaginer comment faire bouger les lignes. 

L’enjeu de l’adaptation du domicile pour une personne âgée fragilisée

Un environnement parfaitement adapté pour un quinquagénaire ne répond pas aux besoins d’un octogénaire. L’évolution se fait à l’échelle d’une vie. Les changements sont très progressifs. Difficile de prévoir leur impact sur la vie de tous les jours dans votre maison.

C’est justement là que réside le risque d’accident domestique et notamment la chute. Perdre l’équilibre, tomber au sol et ne pas pouvoir se relever seul.

Selon le baromètre Santé de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la Santé (Inpes) sur les accidents de la vie courante, 50 % de ceux des personnes âgées de 75 à 85 ans ont lieu à domicile et 67 % de ces accidents à domicile sont des chutes.

L’Inpes indique que « les chutes sont la première cause de décès accidentel chez les plus de 65 ans. Chaque année, 9 300 personnes âgées de plus de 65 ans décèdent à la suite d’une chute. On estime que les trois quarts des décès provoqués par des chutes surviennent chez les plus de 75 ans ».

Le sujet n’est pas neuf et les risques inhérents à un logement non adapté ont déjà été largement commentés. Cependant, on oublie parfois d’évoquer un sujet complémentaire : un logement qui n’est pas adapté fait courir un risque d’accident ou de maladie professionnelle aux soignants et aux aidants professionnels

 

Etat des lieux sur l’adaptation du domicile en France

En octobre 2019, la Filière Nationale Silver Economie a publié un rapport baptisé “Un logement adapté, la condition sine qua non pour bien vieillir chez soi”.

Rédigé par Jean-Philippe Arnoux et Hervé Meunier, ce rapport est le fruit d’une concertation avec tous les acteurs du domicile : professionnels du bâtiments, intervenants à domicile, ergothérapeutes, équipementiers. 

Le rapport tire la sonnette d’alarme : Il y a 28 millions de logements et il s’en construit seulement 400 000 nouveaux chaque année en France, soit 1,5% du parc. 

Conséquences : 

  1. Les logements construits à partir de 2005 qui sont en principe adaptés ou adaptables représentent moins de 10% du parc.
  2. Un logement adapté ne peut être fonctionnel que s’il est construit dans un bâtiment adapté (avec un ascenseur, par exemple) et sur un territoire lui aussi adapté (avec des transports en commun, des commerces, des services de santé, etc…).
  3. Enfin, et c’est là le problème le plus grave : les occupants d’un logement qui n’est pas adapté n’adoptent pas une démarche préventive pour remédier aux limitations du logement. 

Le rapport souligne que l’âge auquel les travaux d’adaptation sont lancés par des personnes âgées en moyenne de 83 ans, la plupart du temps suite à un premier accident, notamment une chute. 

 

Domicile, lieu de travail des intervenants 

Le rapport insiste également sur l’enjeu de l’adaptation du domicile, lieu de travail des intervenants. 

“Le domicile de la personne âgée est aussi bien souvent un lieu de travail pour le salarié qui officie en qualité d’auxiliaire de vie ou d’aide-soignant.e et dont l’accidentologie et l’absentéisme sont particulièrement développés. Adapter un logement c’est aussi appréhender les conditions d’une sécurité et d’une ergonomie propres à l’exercice du métier des aidants professionnels.” (Rapport Arnoux – Meunier)

L’accidentologie des intervenants à domicile est trois fois supérieure à celle des autres branches professionnelles (95 pour 1000 dans les Services à la personne alors que le taux national est de 32 pour 1000). Il y a deux fois plus d’accidents ou de maladies professionnelles déclarées chez les intervenants à domicile que chez les professionnels du BTP (le taux du BTP est de 55 pour 1000) ! 

 

Comment expliquer ce grand nombre d’accidents ? 

Les branches professionnelles où l’accidentologie était la plus élevée ont développé des actions préventives et de la formation. Dans l’industrie et le BTP, par exemple, les conditions de travail sont plus sécurisées, les salariés et les encadrants sont formés et les conditions de travail sécurisé sont observées avec rigueur, car la responsabilité de l’accident peut être imputée à l’employeur s’il n’a pas respecté les obligations légales relatives au code du travail (responsabilité civile) ou à l’ordre public (responsabilité pénale).

Ce n’est pas aussi simple pour les salariés intervenants à domicile. Ils sont confrontés à deux difficultés. 

La formation d’une part, n’est pas dispensée de manière homogène auprès de tous les intervenants. Ce point a d’ailleurs été soulevé par le rapport El Khomri sur l’attractivité des métiers du grand âge (j’y reviendrai). 

Mais surtout, le lieu de travail est le logement privé du bénéficiaire. Ce dernier n’est pas soumis aux mêmes obligations de sécurisation des conditions de travail que les professionnels.

Aucune loi n’oblige un particulier à adapter son logement et il ne peut être tenu responsable des accidents des intervenants !

 

La contribution du rapport El Khomri à la résolution du problème

Le sujet de l’accidentologie des intervenants a été relevé dans le rapport El Khomri sur l’amélioration de l’attractivité des métiers du grand âge. Cette synthèse réalisée par l’ancienne Ministre Myriam El Khomri propose des pistes d’amélioration pour la détection et le suivi des accidents du travail. Centré sur le volet humain des métiers du grand âge, le rapport El Khomri ne fait pas le lien entre la dangerosité du lieu de travail et les accidents du travail des intervenants. Il préconise certes des formations aux bons gestes mais omet que les équipements mis à disposition d’un intervenant à domicile n’ont rien à voir avec ce dont il pourrait disposer en institution. 

Une formation posturale permet d’éviter certains maux, mais sans adaptation du domicile, il est difficile pour un intervenant de systématiser les bons gestes. Lever une personne âgée dépendante, l’installer dans la baignoire pour la toilette ou la soutenir dans une douche qui n’est pas équipée d’une assise : autant d’actions courantes et quotidiennes qui font courir un risque de maladie ou d’accident aux professionnels du care quand ils sont exécutés dans un environnement non adapté. 

 

Adaptation du domicile : comment adopter des démarches préventives ? 

Il y a donc un double enjeu à l’adaptation du domicile : permettre à l’occupant d’y vivre plus longtemps et sécuriser le lieu de travail de l’intervenant. 

Comment y parvenir ? 

Le rapport Arnoux Meunier propose de systématiser partout où cela est possible les missions de repérage des situations de fragilité afin d’anticiper les adaptations nécessaires. 

“Nous proposons également d’intégrer une courte formation au bâti adapté et aux aides techniques pour les personnels des SAP, afin qu’elles puissent contribuer au repérage pour les résidents dont ils ont la charge et pour elle-même (cf. Mission El-Khomri).”

Solliciter les professionnels du care à domicile pour détecter les situations à risque, sensibiliser l’occupant et déclencher un processus d’adaptation du domicile, voilà une proposition pragmatique ! Une idée formidable pour apporter encore plus de valeur aux missions des intervenants… à condition d’y trouver un financement ! 

 

 

A propos de l’auteur : 

Alexandre Faure est blogueur et consultant spécialisé en Silver Économie. Convaincu que l’allongement de l’espérance de vie est un atout, il veut aider les organismes et les citoyens à en prendre la mesure. Alexandre Faure a fondé Sweet Home, un média dédié à la Silver Économie.

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